Le dernier boagari (partie 5)

« Le vent n’empêche pas la pluie » dit le chaman.

Nulle mère ne voudrait voir sa famille s’entretuer. C’est pourtant le fardeau que portait Lu’nah. Elle qui avait élevé ses deux fils d’égal à égal eut le cœur brisé, le jour où son mari choisit un héritier. Dazango était promu au plus grand des avenirs, et Bogar resterait toute sa vie une mauvaise herbe.
On raconte que les larmes qu’elle versa lorsqu’elle apprit la mort de Dazango laissèrent une trace sur le sol de la taverne. Pauvre mère éplorée, condamnée à voir son fils cadet vivre avec son propre sang sur les mains…
Ce soir, le cycle se perpétuait encore. Bogar affrontait le fantôme de son père afin d’enfin assumer ce meurtre. Il devait désormais répondre de ses actes, et prouver aux esprits qu’il était digne de porter son masque. Pendant ce temps, sur les canaux de Dazar’alor, la vieille zandalari cherchait la paix.
Mis à terre par un violent coup aux côtes, Bogar s’effondra en plein milieu de la salle, marqué sur tout son corps. Son père assénait chaque coup avec la rage d’un diablosaure, maudissant son fils de tout son être.
« Tu as triché ! Jamais tu n’aurais dû porter ce masque, ni cette armure ! Tu m’as volé mon fils chien ! »
Le troll se relevait à chaque blessure, frappant avec la même intensité. Le cœur serré, il rendait chaque coup à son paternel.
« Et toi tu as passé ta vie à me rabaisser, à essayer de m’enterrer sous tes pieds ! Mais jamais tu ne réussiras ! »
La dernière frappe du troll envoya valser l’esprit, se redressant avec peine dans un coin sombre. Bogar se précipita sur lui, le prenant à la gorge et préparant une lame de vent.
« J’ai passé ma vie à essayer de te rendre fier de moi…mais toi tu ne voyais que ton fils adoré, et moi j’existais pas ! Est-ce que tu sais ce que j’ai ressenti quand j’ai été obligé de le tuer ?! J’ai vu à quel point tu as déchiré notre famille ! Tu as fait de moi tout ce que je détestais papa ! Mais plus jamais je ne tuerai par dépit… »
« Sauf cette fois. » lança Garashi. « Achève-le, et renvoie-le dans l’au-delà. »
Bogar retira sa main de la gorge de son père, celui-ci fermant les yeux.
« Non. Je viens de le dire, plus jamais. »
« C’est la loi du plus fort, petit. Tue-le, ou refuse ton titre. »
« Aucun titre ne me refera tuer un membre de ma famille, Garashi. »
Hurlant, l’immense esprit troll s’avança alors, dégainant ses armes. Les autres esprits le suivirent, trop peureux de sa réaction.
Se précipitant au milieu de la pièce, Bogar empoigna le sceptre de Zul’salam.
« J’ai enfin compris ce que c’est de ne pas être un minable, Garashi. »
« Ce sceptre est sacré ! Enlève tes sales pattes ! »

Grognant et sous les yeux de son père ainsi que de tous les esprits du clan, Bogar empoigna le sceptre par le long et le brisa d’un violent coup de pied. Horrifiés par cet acte, Garashi s’arrêta net, alors que Sal’azim avançait doucement, dégainant sa dague.
« Notre clan est mort le jour ou vous nous avez enfermé dans vos traditions…Nous étions sensés protéger Zandalar, et aujourd’hui notre pays est attaqué de toute part ! Que faites-vous, grands guerriers, à part rester ici à l’abri de Bwonsamdi ?! RIEN ! »
L’esprit Sephrak continuait sa marche vers le troll, et planta violemment sa dague devant ses pieds. Garashi ne comprenant pas sa réaction, dégaina ses armes.
« Sal’azim, tu ne fais rien ?! C’est toi qui nous a instigué ce rite, c’est toi qui a planté ce bâton ici ! »
« Et je reconnais que Bogar a raison. Nous avons échoué, mon vieil ami. Zandalar a changé, et nous avons refusé de changer avec. »
Posant sa main sur l’épaule du troll, le sephrak sondait ses yeux.
« Pardon petit. Pardon pour tout. Dans notre orgueil, nous avons oublié notre mission première, et cela nous a causé bien trop de pertes…tu peux prétendre au titre d’héritier, si il a encore du sens. »
Bogar regardait les autres esprits ainsi que le sephrak, et s’avança au milieu d’eux, les restes du bâton entre ses mains.
« Ce n’est pas avec des traditions que nous défendrons notre héritage…j’ai rencontré des personnes au-delà des mers, et j’ai appris que l’unité faisait la force…en nous divisant pour un héritage oublié, nous avons oublié qui nous étions…en tant qu’héritier des Boagari, je vais maintenant vous demander votre aide, et non pas vous ordonner quoi que ce soit. »

Garashi s’approcha du troll, imposant, et se pencha vers lui.
« Et qu’est-ce que tu vas oser me demander de faire, petit troll ? Je ne t’obéirai pas. »
Se tournant vers son père, Bogar s’approcha doucement de lui et l’aida à se relever.
« Je vous demande juste de me faire confiance. Ensemble, il y a quelque chose que nous pouvons encore faire. Tous, autant que vous êtes, avez réussi à échapper à Bwonsamdi grâce à la bénédiction de vos loas. Aidez-moi à défendre notre foyer, et à perdurer notre serment. »
« Nous sommes morts Bogar. Nous ne pouvons rien faire pour notre nation, même si notre âme en brûle d’envie. » lance Garashi.
Bae’ger regardait son fils parler, et lui prit violemment des mains les restes du bâton. Il s’avança ensuite dans un recoin du mausolée et dépoussiéra d’un coup de main une vieille enclume.
« Nous non. Lui, oui. »
Il tourna le regard vers son fils, pour la première fois de sa vie souriant en sa présence. Posant les restes du bâton sur l’enclume et formant un marteau spirituel, Bae’ger frappa longuement la garde et la tête en forme de serpent, utilisant un feu d’outre-tombe afin de faire fondre l’élémentium.
« Qu’est-ce que tu fais ? Tu comptes lui faire un autre bâton ? Il risque de se blesser avec ! » Garashi ricanait, observant le troll faire.
« Nous avons encore des choses à finir en ce monde, Garashi. Vous autres, approchez. Si nous voulons défendre Zandalar, nous allons devoir utiliser un réceptacle. »
S’approchant de l’enclume, Sal’azim lança aux autres esprits : « Vous tous, il est temps de quitter ce caveau ! Insufflez-vous dans le métal, investissez chaque parcelle de cette arme, et faites-en l’incarnation de la fureur des Boagari ! »
Des myriades d’esprits s’élancèrent alors comme un torrent de fumée autours de Bae’ger, continuant de frapper le métal et le modeler. Ils insufflèrent tous une parcelle de leur force, avant de s’évanouir enfin vers le royaume des ombres. Seuls restaient Sal’azim, Boo’gati et Bae’ger.

« Vous comptez vraiment faire face à Bwonsamdi pour enchanter cette arme ? » Répliqua Bogar, voyant les esprits ancestraux se sacrifier.
« Tu voulais que l’on t’aides, alors accepte notre aide » lança Sal’azim. « Les Boagari sont morts, mais toi tu porteras notre ultime héritage. »

Bae’ger ayant terminé son ouvrage, le leva : un marteau fait d’or et d’élémentium, vibrant de la rage et la détermination d’un clan entier.
« Pour le nom, je te laisse choisir. »
Le troll tendit l’arme à Bogar, surpris de l’attitude de son père. Jamais il ne lui avait parlé aussi calmement. Empoignant le marteau et sentant en lui une grande puissance, il le brandit vers le plafond.
« Yute’ju. La volonté des esprits. En l’honneur de notre clan entier. »
Boo’gati sourit et s’approcha de Bogar, touchant le marteau et infusant sa force.
« Je savais depuis le début ne que t’étais pas qu’un rêveur, p’tit gars ! Et prend soin de ce marteau hein ? »
« Promis pépé… »
Il disparut, et Sal’azim le suivit en adressant un signe de tête respectueux lourd de sens.
« Ne t’attends pas à ce que je sois désolé, Bogar. » Lança Bae’ger. « Ce marteau ne répondra qu’à un guerrier digne. Tu devras prouver ton mérite en permanence. »
« Si c’est ce que tu veux, soit. »
S’approchant de lui, le vieux troll posa sa main sur l’épaule de son enfant, lui souriant.
« Je suis fier de toi fils…mais rien au monde ne pourra rattraper ce que nous avons vécu. »
« Merci… »
S’évanouissant dans le marteau en adressant un dernier regard à son cadet, Bae’ger ne lui laissa qu’une larme de joie couler discrètement. Il l’avait enfin qualifié comme son fils.


« Tapette. »
Garashi apparut devant lui, grognant.
« Dit celui qui a peur d’affronter le regard de Bwonsamdi… »
« C’est un repli stratégique, petit troll. Ne crois pas que j’ai eu une once de peur dans ma vie. »
« C’est pour ça que j’ai besoin de toi, Garashi. »
« Et tu crois que je vais encore me lier à toi ? Tu as bien conscience que tu viens de détruire un clan millénaire ? »
« Oui, et va me falloir de l’aide pour maintenant défendre un empire millénaire. »
Riant aux éclats, Garashi prend soudain la forme d’un marteau spirituel que Bogar prend dans sa main gauche.
« Alors je frapperai au côté de mes frères, mais en place privilégiée. »









Des semaines plus tard…
La foule dans l’auberge soudain hurla de peur, une immense explosion retentissant à travers les constructions de Zul’dazar.
« Qu’est-ce que c’est ?! »
Bogar se redressa net et dégaina son marteau, sortant dehors. Zuldazar était attaqué.
« Va te cacher mama ! Et dit aux autres de se planquer ! »
« Bogar ! »
Des taupes mécaniques déchiraient le sol, des sombrefers armées jusqu’aux dents émergeants.
« FERMEZ LA PORTE ! VITE ! »
« ILS NE TOUCHERONT PAS A UN SEUL CARREAU DE MON AUBERGE ! »
« MAMA, RESTE A L’INTERIEUR ! »
Un tir transperce l’épaule de Lu’nah, s’effondrant sur le sol.
Hurlant en se précipitant sur elle, il découvrit un regard vide, ainsi qu’un second impact logé dans le torse.
Se redressant et observant les sombrefer, ses yeux s’assombrirent et se colorèrent d’un rouge sang, bavant de rage. Le carnage pouvait commencer.